Le petit garçon qui mangeait de la crème fouettée... (ou la diète cétogène dans le traitement de l’épilepsie)


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Quand la neurologue m’a parlé pour la première fois de la diète cétogène, ma première réaction a été : «La diète quoi??» C’est encore la réaction que je reçois quand je commence à expliquer les restrictions alimentaires de mon bonhomme. Ça, ou «Il est sur une diète spéciale lui, je pense, han?» quand on rencontre quelqu’un qui nous suit un peu sur les zinternets.

Eh oui, Louis étant atteint d’une forme d’épilepsie réfractaire à la médication, l’équipe de neurologie du CHU Sainte-Justine nous a recommandé la fameuse diète cétogène que Louis suit depuis le 14 juin 2015. C’est une diète très restrictive mais surtout qui a eu un effet très bénéfique pour Louis. Comme plusieurs personnes se demandent de quoi il en retourne et comme je suis une vraie maman gaga qui adore parler de son fiston (faut ben s’assumer tsé), ça va me faire pllllllaisir de vous expliquer tout ça.  C’est parti :)

Carburer au gras…

Commençons par un exemple. Supposons que vous mangez une pomme avant d’aller faire votre jogging. Pour fonctionner, votre corps va d’abord utiliser les glucides (le sucre de la pomme) comme carburant. Une fois que ces glucides sont épuisés, il ira chercher son énergie dans les graisses (les lipides) emmagasinées dans votre organisme. Jusque-là, c’est le bon vieux principe de la perte de poids…

Dans le cas de la diète cétogène, on se tourne plutôt vers l’effet qu’a l’utilisation des lipides sur le système nerveux. Lorsque votre corps utilise des lipides comme source d’énergie, il se met à produire des composés organiques appelés «cétones». Ces cétones agissent sur le système nerveux comme un anticonvulsivant. Autrement dit, c’est comme si l’organisme produisait lui-même un médicament contre les convulsions.

La diète cétogène est également souvent présentée comme un jeûne simulé. En effet, comme le corps fonctionne avec ses réserves de gras, c’est comme si on lui faisait croire qu’il était toujours en mode «jeûne».

La diète cétogène est habituellement administrée aux enfants atteints d’épilepsie pharmaco-résistante pendant une moyenne de 2 à 3 ans, après quoi ils reviennent progressivement à une alimentation normale.

Comme tous les autres médicaments visant à traiter l’épilepsie, la diète cétogène n’est pas un remède miracle. Dr Anne Lortie, la neurologue qui suit Louis, nous a expliqué que, dans le tiers des cas, la diète cétogène arrive à contrôler l’épilepsie. Dans un autre tiers, elle la diminue considérablement. Le dernier tiers des patients voient peu ou pas de changement à leur condition.

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Un exemple de repas pour le petit glouton de Louis Gaudreau :) Beaucoup de crème fouettée et d’huile, viande, légumes

Quant à Louis, il se trouve dans le second tiers. C’est-à-dire que la diète cétogène, sans contrôler complètement son épilepsie, a permis de réduire considérablement la durée des crises, passant de 15, 30, 45 voire 60 minutes en convulsions à environ 5 minutes maximum. De plus, les crises sont moins fréquentes. Avant la diète, Louis pouvait convulser plusieurs fois par semaine, aux 10 jours quand on était chanceux. Maintenant, il peut facilement faire 2 semaines ou même 1 mois sans convulser. La diète cétogène ayant des impacts lents sur l’organisme, Louis continue d’être suivi aux 2-3 mois pour vérifier la réponse de son organisme aux cétones… Et on peut se croiser les doigts pour que les effets bénéfiques de la diète continuent de se multiplier.

L’idéal serait que Louis cesse de convulser et que nous puissions progressivement retirer les médicaments… mais nous ne sommes pas encore rendus là et il arrive encore que les crises de Louis soient incontrôlables… donc… un jour à la fois.

La bonne nouvelle est que la diète, en réduisant les crises d’épilepsie, permet à Louis d’être moins souvent fatigué, donc plus souvent éveillé, disponible pour tous les jeux de stimulation et de réadaptation. D’où les beaux progrès que certains d’entre vous ont pu constater sur sa page Facebook 

Quand la balance et l’amour de la cuisine sont tes meilleurs amis

À la maison, préparer la crème fouettée est une affaire… de gars ;)

Dans le pratico-pratique, la diète cétogène se traduit par trois repas par jour conçus sur mesure par la nutritionniste de Sainte-Justine (surnommée Super Stéphanie Benoît par son fan club de moms dont je fais partie). L’apport calorique quotidien est méticuleusement calculé à travers ces trois repas et, pour préserver l’effet du jeûne, aucune collation n’est permise.

Pour Louis, la crème 35% constitue la base de son alimentation. Chaque repas se compose donc de crème fouettée (parce que c’est ce que Louis arrive le mieux à «gérer» au niveau de la déglutition), d’huile ou beurre ou mayo, d’un peu de protéines (viande, poisson, nouilles de tofu, œufs, fromage) et d’un peu d’une délicieuse purée de légumes maison. Pour vrai, il adore.

Ce qu’il est important de respecter, et ce qui rend la diète cétogène si restrictive (et rebutante pour certaines familles), c’est qu’il est primordial de respecter un certain ratio de gras par rapport aux protéines et glucides. Dans le cas de Louis, ce qui lui convient est un ratio de 3 : 1, ce qui veut dire trois portions de lipides pour 1 portion de protéines et glucides… Conséquemment, tous les aliments sont pesés et la balance fait maintenant partie intégrante de notre routine des repas.

Quant au choix des aliments, mis à part les «4P» (pâtes, pains, patates, pop corn… ok le dernier c’est juste pour voir si vous suiviez 😉 ), le maïs, la banane et les légumineuses, Louis peut manger pas mal n’importe quoi, les quantités étant déterminées par notre nutritionniste … Évidemment, comme les fruits sont plus sucrés que les légumes, mettons que c’est plus limité de ce côté. Et pour mieux mesurer les quantités, on préfère avoir recours à de la popote maison, plus facile à mesurer et à contrôler.

À titre d’exemple, pour le déjeuner de Louis, l’un des ingrédients du menu est 12 grammes de jus de pommes. Pas un de plus. Pas un de moins… et c’est la seule portion de fruits qu’il prend dans sa journée. Au dîner et au souper, les glucides sont plutôt fournis à travers les légumes. On s’amuse à donner des purées mesurées de courges et oignons caramélisées, de patates douces aux fines herbes, de broco-chou-fleur aux herbes salées, etc. (le genre de purée qui pourrait facilement accompagner le plat de résistance dans les grands restaurants 😉 LOL ) Autrement dit, côté diversité des aliments, c’est pas si pire que ça en a l’air.

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Louis qui ne se fait pas prier pour déguster les purées maison de maman ;)

L’Attaque du craquelin de maïs

Par contre, LE grand ennemi à proscrire est évidemment le sucre sous toutes ses formes. On a même un papier de procédures en cas d’hospitalisation pour éviter que le soluté (la première chose qu’ils mettent dans le bras de notre bonhomme quand on arrive à l’hôpital) ne soit celui au «glucose» habituellement utilisé. Pour simplifier la donne, l’équipe de la clinique cétogène nous a recommandé de présenter le cas de Louis comme une allergie au sucre… Et oui, la maman freak que je suis le répète à outrance aux infirmières en place… toutes mes excuses à ces dernières qui m’ont endurée…

Une anecdote pour expliquer mon insistance? Lors d’un essai à la clinique de dysphagie, nous avons donné un mini morceau de craquelin de maïs à Louis pour tester un outil de mastication. Mini mini, complètement bio, naturel, équitable, tout ce que vous voulez. Pourtant, Louis a fait plusieurs convulsions pendant les 24 heures suivantes… Il parait que c’est bon signe puisque ça indique que la diète fonctionne… mais vous comprendrez que, devant toute personne qui semble vouloir donner quelque chose de nouveau à manger à fiston, j’ai un air de pitbull méfiant…

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Une diète en forme de médaille

Si je devais revenir en arrière, sans aucun doute, je choisirais à nouveau de mettre Louis sous diète cétogène. Son état neurologique était si instable auparavant. Par contre, il faut avouer que ce n’est pas une décision que l’on prend à la légère et il faut savoir que la diète cétogène entraine avec elle son lot de répercussions moins reluisantes, non seulement sur l’organisation et la composition des repas, mais surtout sur la santé de l’enfant.

Louis et moi, lors de son hospitalisation en juin 2015 pour l'intégration de la diète cétogène.

Louis et moi, lors de son hospitalisation en juin 2015 pour l’intégration de la diète cétogène.

En effet, l’envers de la médaille de la diète cétogène implique entre autres :

– La nécessité d’assurer une plus grande hydratation de l’enfant, en raison du manque de fibres dans ses repas;

– La nécessité de donner des cachets de vitamines et minéraux pour remédier aux carences alimentaires de la diète;

– Des risques d’hypoglycémie;

– Des risques que l’acidité du sang augmente, ce qui a été le cas de Louis (acidose);

– Une baisse possible de la densité osseuse;

– Des troubles digestifs et/ou du reflux gastrique. Dans le cas de Louis, comme son système digestif est au ralenti, ce fut un premier trois mois vraiment difficile … Nous avons même failli arrêter la diète tellement il était souffrant. Nous avons finalement trouvé la bonne combinaison d’anti-reflux et d’antiacides et il se porte maintenant à merveille.

– Diminution ou arrêt de croissance. Louis n’a d’ailleurs pas grandi pendant un an suite à l’intégration de la diète. Sa neurologue nous a toutefois informés qu’il reprendrait son retard dès que la diète serait terminée.

Pour toutes ces raisons, l’introduction de la diète cétogène se déroule toujours avec une hospitalisation d’environ une semaine pendant laquelle le patient est suivi de près (analyses sanguines, mesures des corps cétoniques). Par la suite, il est suivi périodiquement dans divers départements de l’hôpital pour surveiller l’impact de la diète sur son développement global.

Le saviez-vous?

La diète cétogène a été documentée pour la première fois dans l’antiquité grecque (quand on dit qu’on a rien inventé depuis les grecs … lol).

Par contre, elle a été perfectionnée et prescrite par les médecins à leurs patients dans les années 1920. C’est vers cette époque que le régime cétogène est véritablement documenté et utilisé pour traiter l‘épilepsie réfractaire.

Dans les années 1940, avec la mise en marché des médicaments anticonvulsivants qui arrivent sensiblement aux mêmes fins que la diète cétogène sans les contraintes alimentaires, la diète cétogène est peu à peu mise de côté au profit de la médication.

Vers la fin des années 1990 la diète cétogène est remise aux goûts du jour grâce à de nouvelles avancées médicales et à la guérison du fils du producteur hollywoodien Jim Abrahams, qui en a fait un film «First do no harm»

C’est d’ailleurs en 1995 que la clinique cétogène est créée au CHU Sainte-Justine. Actuellement, cette clinique suit en moyenne une trentaine de patients (dont un certain Louis Gaudreau 😉 ). Il s’agit du plus important centre de référence au Québec.

La moustache de crème fouettée.

Je relis cet article et je le trouve un peu long… Il y a tant à dire sur la diète cétogène, c’est complexe, ce n’est pas quelque chose qu’on peut débuter tout seul à la maison, il y a tellement de points à prendre en considération, ce n’est pas pour tous les patients, etc. etc… Mais c’est surtout une solution qui a permis pour mon petit Louis une remontée spectaculaire. Grâce à l’introduction de cette alimentation, j’ai maintenant un petit garçon qui a les yeux de plus en plus allumés, qui bouge de plus en plus, qui prend conscience de son entourage et des interactions qu’il peut avoir. Un petit garçon qui sourit quand il entend nos voix. Un petit garçon qui essaie de plus en plus de contrôler ses mouvements. Un petit garçon qui prend plaisir à manger. Un petit garçon qui essaie avec ténacité de porter ses mains et sa cuillère à sa bouche, au moment des repas… Et moi… je prends plaisir à le voir se faire, sans le savoir, une moustache de crème fouettée.

Virginie, la maman de Louis

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Notes importantes:

  • Les explications sur la diète cétogène contenues dans ce texte sont les propos de la maman que je suis et reflètent donc ma propre compréhension de cette diète ainsi que la façon dont elle s’inscrit dans le quotidien de notre famille. Je ne suis ni médecin , ni nutritionniste, ni travailleuse dans quelque domaine que ce soit lié à la santé et n’ai donc surtout pas la prétention de tenir un discours représentant le point de vue médical sur le sujet.
  • De plus, les recettes crées pour Louis Gaudreau ne sont pas nécessairement exactement les mêmes que celles d’autres enfants sous diète cétogène. En aucun cas les exemples cités dans ce texte ne pourraient être applicables à d’autres familles sans un avis médical.
  • La diète cétogène nécessite un suivi médical soutenu et ne doit pas être débutée sans une recommandation médicale et une hospitalisation.

Références

Mon must : Clinique cétogène du CHU Sainte-Justine
EpilepsyMatters.com
RegimeCetogene.com
CharlieFoundation.org
MatthewsFriends.org
La Presse: Diète cétogène: regain d’intérêt au Québec, article du 3 septembre 2008
La Presse: Un régime contre l’épilepsie, article du 4 septembre 2008

2 Comments

Basque, 14 août 2016 Reply

Merci Virginie pour ta documentation, tes explications qui sont très intéressantes et surtout Bravo.

C’est avec intérêt et beaucoup d’amour que nous suivons l’évolution de Louis. Gros bisous

Virginie L'écuyer (post author) , 16 août 2016 Reply

Oh merci Hélène! C’est toujours très touchant et surtout motivant de voir que le périple de Louis suscite tant d’amour et d’intérêt. Je lui donne un gros bisou de ta part 😉
Virginie

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